Ubbi Tey Diang Tey, déficit de 45.000 enseignants, École du Futur : Ibrahima Diagne, inspecteur de l’éducation se prononce

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L’année scolaire 2022/2023 a officiellement démarré le 3 octobre dernier pour les enseignants et le 6 du même mois pour les élèves. Mais c’est une rentrée scolaire de nom puisque le démarrage effectif des cours bute sur d’innombrables écueils. Le déficit d’enseignants, les inondations des écoles, les abris provisoires non encore montés, le concours d’entrée au lycée scientifique de Diourbel non encore organisé, les élèves maîtres toujours en formation.
Autant de difficultés qui remettent en cause les volontés politiques pour une école publique de qualité.
Au conseil des ministres du 05 octobre 2022, le Président de la République a abordé quelques aspects de l’école sénégalaise notamment les efforts fournis par le gouvernement mais aussi les attentes pour une école de la réussite. Il a prôné un changement de paradigme pour inventer l’école du Futur.
Ibrahima Diagne, inspecteur de l’éducation dans le département de Fatick donne ici les contours que devrait prendre ce projet de l’école du Futur
Entre autres sujets le démarrage des cours avec le concept Ubbi Tey Jang Tey mais aussi le débat sur le déficit de 45.000 enseignants.
 
Une semaine après la rentrée scolaire, quelle appréciation faites vous du Ubbi Tey jang tey?
 
Ibrahima Diagne : La rentrée était prévue le 03 octobre pour le personnel enseignant et administratif et le 06 octobre pour les élèves. Si on considère le point fait par le ministère de l’Education nationale, les enseignements apprentissages peuvent se faire dans 80 % des écoles et établissements.
Cela veut dire que les conditions pour un démarrage des cours sont réunies dans ces établissements : la fonctionnalité des salles de classe, l’existence du matériel didactique et pédagogique ainsi que la présence du personnel administratif et enseignant.
Certainement dans d’autres écoles et établissements qui ne seraient pas prêts il y a les eaux de pluie toujours stagnantes et les salles en abris provisoires qui ne sont pas encore refaites.
Il est évident que cela aura des répercussions sur le quantum horaire qui reste un aspect clé pour les performances scolaires.
Mais je vois Ubbi tey jang tey plus comme un concept mobilisateur pour que toutes les parties prenantes (autorités ministérielles et académiques, enseignants, parents d’élèves et élèves) chacune en ce qui la concerne puisse prendre les dispositions pour un démarrage effectif dès le premier jour de la rentrée scolaire.
En tout état de cause, il conviendra toujours d’évaluer ce démarrage de la rentrée, apporter des améliorations pour que le concept au delà de sa dimension mobilisatrice devienne une réalité et c’est bien du domaine du possible.
 
Un débat est agité suite aux propos du directeur exécutif de la Cosydep qui évoquait un déficit d’enseignants de 45000 et qui ne correspondrait pas à la réalité selon certains acteurs de l’école. Quel est votre point de vue en tant que professionnel de l’éducation?
 
Il faut dire que j’ai eu l’information à travers la presse et les réseaux sociaux et j’ai aussi lu le communiqué du ministère de l’Education nationale. Le directeur exécutif de la COSYDEP qui a soutenu ces propos est parti sur des postulats.
Entre autres le nombre d’enfants en âge de scolarisation et qui sont hors du système, le surplus d’élèves dans les salles de classe qu’on appelle classes pléthoriques, les classes spéciales comme les multigrades.
C’est en faisant un croisement sur la base de ces éléments que le directeur exécutif de la COSYDEP est arrivé à évoquer un déficit de 45.000 enseignants.
Si on le rejoint dans son raisonnement, on serait dans une situation où tous les enfants seraient à l’école, qu’on aurait plus de classes multigrades et que les effectifs dans les classes n’excéderaient pas 45 élèves.
C’est l’idéal mais n’oublions pas que nous sommes dans un pays à revenus insuffisants par rapport aux besoins de la population.
La gestion de ces questions en éducation est complexe car pour les classes multigrades; cela répond aussi à une rationalisation du personnel qui serait sous utilisé dans une école où les effectifs de certaines classes sont très réduits (moins de 25 élèves).
Par exemple regrouper deux classes, l’une de 15 élèves et l’autre de 20 élèves est donc une solution dans le contexte actuel. Il suffit de renforcer les capacités des enseignants de ces classes pour une meilleure prise en charge de ces situations.
Le déficit de salles de classe évoqué est aussi une réalité mais dans l’analyse, il ne faut pas seulement se limiter au factuel. Il faudra voir les progressions faites en termes d’absorption des abris provisoires à travers différents projets : programme zéro abris, (projet ADEM) Dakar ou encore le projet d’amélioration de l’éducation de base en Casamance (Paebca) avec la construction et l’équipement de 200 salles de classe dans les régions de Ziguinchor et de Sédhiou. Il faut donc recentrer toutes ces questions dans un contexte plus large pour mieux comprendre les problématiques et les solutions qui sont en cours.
Venons-en au projet de l’école du futur évoqué par le Président de la République lors du conseil des ministres du mercredi 05 octobre 2022. Selon vous quel serait son contenu?
 
Je ne suis pas le conseiller du Président en matière d’éducation. Je ne parle pas non plus au nom du ministre de l’Education nationale mais plutôt en tant que professionnel du secteur qui a son point de vue sur la question.
A mon avis, l’école du futur doit viser deux objectifs majeurs: d’abord faire réussir les élèves, ensuite faire des élèves des citoyens imbus de valeurs de patriotisme, de travail, de civisme, de respect de l’autre et du bien public
Pour le premier objectif, il s’agira de renforcer la qualité de notre système éducatif par un renforcement de la qualité de la formation des acteurs notamment les enseignants et les directeurs d’école et chefs d’établissement.
Dans ce dispositif, les centres régionaux de formation des personnels de l’éducation (CRFPE) doivent occuper une place de choix en rapport avec la Direction de la Formation et de la communication (DFC) et l’Inspection générale de l’Education et de la Formation (IGEF) du ministère de l’Education nationale.
Le renforcement de la qualité de la formation s’accompagnera de la production de ressources pédagogiques et didactiques avec une forte intégration du numérique.
Les formateurs des CRFPE pourraient ainsi avec la logistique nécessaire assurer la formation des enseignants par une prise en charge permanente des besoins de formation.
Une plus grande cohérence des interventions des programmes et projets au niveau central est aussi nécessaire pour plus d’efficacité et d’efficience.
 Au niveau des écoles et établissements il y a lieu de renforcer les capacités des directeurs d’école principaux et proviseurs dans le management des structures et veiller à la mise à disposition dans les délais raisonnables des ressources matérielles et financières.
Le numérique étant incontournable dans les dispositifs de formation ; l’environnement des établissements devra être amélioré par l’électrification et le réseau internet.
Pour le deuxième objectif comme c’est dit plus haut, l’école du futur doit faire des élèves des citoyens imbus de valeurs de patriotisme de civisme de travail et de respect de l’autre et du bien public.
Pour ce faire plusieurs pistes peuvent être explorées.
Au niveau des curriculas, faire une forte intégration de l’éducation aux valeurs et il faut le dire le ministère de l’Education est déjà dedans à travers l’inspection générale de l’éducation et de la formation avec son programme de révision des curriculas.
Certes, il faut plus de science dans les parcours des élèves mais à mon avis l’on doit aussi donner plus de place à l’histoire et à la géographie du Sénégal et de l’Afrique. Les valeurs que nous recherchons peuvent être bien acquises avec l’appropriation de certains aspects de notre histoire. Aussi, certaines compétences et valeurs ne s’acquièrent pas entre les quatre murs de la classe ; elles s’acquièrent et se développent lors d’activités para ou périscolaires.
 Pour cela, dans les activités des gouvernements scolaires et autres instances, l’on devra intégrer autant que c’est possible des contenus à caractère éducatif.
L’école devra aussi bénéficier de soutien des autres instances de socialisation notamment les médias surtout la télévision dans leurs programmes.
C’est un challenge mais avec le concours de tous les acteurs sans oublier le politique, cette école du futur que nous rêvons nous tous peut bien être une réalité.
Le patriotisme, le culte du travail et le respect du bien public sont des valeurs indispensables pour la vision que nous avons du Sénégal, le développement socioéconomique.
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