Liban : qui est Joseph Aoun, le nouveau président de la République ?
Le chef de l’armée libanaise Joseph Aoun a été élu président du Liban jeudi, à l’issue du second tour de vote des députés libanais. Âgé de 61 ans, le général, novice en politique, a tiré profit de sa position à la tête de l’institution militaire et bénéficie du soutien de plusieurs puissances étrangères, comme les États-Unis et l’Arabie saoudite.
Joseph Aoun, commandant en chef de l’armée libanaise a été élu jeudi 9 janvier président du Liban à l’issue du second tour, par 99 voix sur un total de 128 députés. Son élection a eu lieu après une rencontre entre des représentants des blocs du Hezbollah pro-iranien et de son allié, le mouvement Amal, et le commandant en chef de l’armée au Parlement, lui assurant ainsi la majorité nécessaire pour l’emporter. Au premier tour de scrutin, dans la matinée, il n’avait recueilli que 71 voix.
Sans aucune expérience politique, il tire profit de sa position à la tête d’une des institutions les plus respectées du pays, miné par les crises politique et financière.
Le général, qui célébrera vendredi son 61e anniversaire, jouit par ailleurs du soutien de plusieurs puissances étrangères comme les États-Unis et de l’Arabie saoudite.
Les députés libanais se sont réunis jeudi pour élire un chef de l’État alors que le pays en était privé depuis plus de deux ans en raison des profondes divergences entre blocs politiques.
Le général Aoun, qui n’a aucun lien familial avec le président sortant Michel Aoun, dirige depuis mars 2017 une institution qui a pu rester à l’écart des dissensions confessionnelles et politiques qui déchirent le pays.
Liens avec les États-Unis
Au sein de l’armée, il a su manœuvrer pour surmonter les crises, notamment un effondrement économique qui a frappé de plein fouet la solde de ses 80 000 soldats, l’obligeant à accepter des aides internationales pour préserver son institution.
Depuis un accord de cessez-le-feu fin novembre mettant fin à la guerre entre le puissant mouvement Hezbollah et Israël, l’armée a la tâche délicate d’assurer le respect de la trêve.
Elle se déploie progressivement dans les zones frontalières du sud à mesure que l’armée israélienne s’en retire, un processus qui doit être achevé au 26 janvier.
Conformément à l’accord, seuls l’armée libanaise et les Casques bleus de l’ONU doivent être déployés dans le sud. Les combattants du Hezbollah doivent se retirer vers des régions plus au nord et abandonner leurs armes lourdes.
Intervenant dans le fief du Hezbollah, qui a promis une « coopération totale », le chef de l’armée doit veiller à préserver le précaire équilibre social et confessionnel du jeu politique libanais : ne pas fâcher le mouvement pro-iranien sans s’attirer les foudres de ses détracteurs.
Le militaire au verbe laconique, chauve et à la carrure solide, peut compter sur son réseau tissé à travers l’ensemble de la classe politique libanaise, mais aussi ses contacts avec les capitales occidentales, Paris et Washington en tête.
« Il a la réputation d’être un homme intègre », indique à l’AFP le politologue Karim Bitar.
« Au sein de l’armée libanaise, il est perçu comme quelqu’un de dévoué, qui défend l’intérêt national, et qui essaye de consolider l’institution, la seule encore épargnée par le confessionnalisme et qui tient encore debout », ajoute-t-il.
Mohanad Hage Ali, du think tank Carnegie pour le Moyen-Orient, souligne ses « liens avec les États-Unis », l’armée libanaise étant financièrement soutenue par Washington.
« Il a entretenu des relations avec tout le monde, mais il a souvent été critiqué par les médias affiliés au Hezbollah », justement pour cette connexion américaine, ajoute-t-il.
« Peut-il se muer en politicien ? »
Outre l’allié américain, l’institution a reçu des aides du Qatar ou de la France.
Une conférence internationale organisée à Paris en octobre a permis de lever 200 millions de dollars pour l’armée, un soutien vital : au plus fort de la crise économique en 2020, l’armée avait même dû retirer la viande des repas servis à ses militaires.
« Tout le monde reconnaît son bilan sans faute à la tête de l’armée », indique à l’AFP un diplomate occidental. « Mais peut-il se muer en politicien ? C’est la question. »
À l’aise en français et en anglais, le général Aoun est père de deux enfants. Il est issu de la communauté chrétienne maronite, à laquelle la présidence est réservée, en vertu du partage confessionnel du pouvoir qui accorde aux musulmans sunnites le poste de Premier ministre et aux musulmans chiites celui de président du Parlement.
« Même parmi ceux qui le respectent, nombreux sont ceux qui sont contre son élection à la présidence, essentiellement parce qu’il vient de l’armée », souligne Karim Bitar.
Car certains ex-présidents au profil similaire ont laissé aux Libanais « un arrière-goût amer », ajoute-t-il. Sans compter que cela pourrait entériner l’idée que le chef de l’armée peut « systématiquement devenir président ».
Michel Aoun était aussi un ancien commandant des forces armées libanaises, et les trois prédécesseurs étaient également issus des rangs de l’armée.
Avec AFP